Confisquer et restituer dans la Monarchie des Habsbourg (XVIe-XVIIe siècles). Journées d’études à KU Leuven inaugurant le noeud ‘Bourgogne-Flandres’ de Red Columnaria
Date: 11 décembre -12 décembre 2014, Leuven (Belgique)
(For a first conference report, see http://estadomoderno.blogs.uv.es/2014/12/18/confiscar-y-restituir/)
L’exercice du pouvoir souverain est indissociable de l’usage de la force publique et d’une violence physique légitime dont le monopole caractériserait l’Etat de droit (M. Weber). La confiscation est une mesure de transfert à l’Etat de tout ou partie des biens d’un individu à la suite d’une condamnation pénale ou fiscale ou d’une mesure de police. Ce procédé légal et usuel de la justice prend une résonance particulière lorsqu’il devient un processus collectif constituant un volet complémentaire des épisodes de punition ou de persécution par la puissance publique au sein des sociétés en guerre ou lors des périodes de troubles. L’historiographie récente a largement donné écho à ces phénomènes d’ampleur. En France, la nationalisation des biens du clergé en 1789 puis de ceux des émigrés à l’époque de la Convention, est ainsi présentée comme « l’évènement le plus important de la Révolution » : elle jette sur le marché une quantité inédite de biens alors que démarre la grande réorganisation économique et sociale portée par la Révolution française[1]. Et la question de l’aryanisation des biens des Juifs dans l’Europe nazie a amené les hommes politiques comme les historiens à réinterroger, au travers des modes de spoliation, la collaboration durant l’Occupation et la responsabilité des institutions financières et publiques pendant et après cette période sombre[2].
Or il manque une étude globale des processus de confiscations et de restitutions de biens au sein des grandes monarchies de l’époque moderne, pour comprendre leur économie religieuse et politique dans l’exercice de la souveraineté princière, entre punition et grâce, entre exil et réconciliation. A l’échelon de la monarchie hispanique, violence et négociation occupent en effet un large répertoire de l’action politique et religieuse des Habsbourg vis-à-vis de leurs sujets. Et les confiscations de biens comme les restitutions opérées à différentes échelles rythment les grands épisodes de tension provoqués par l’hégémonie mondiale de la monarchie hispanique et ses choix religieux. Comuneros et agermanados en Castille et Aragon au début du règne de Charles Quint, morisques de Grenade et nouveaux chrétiens de la péninsule ibérique, protestants de l’Empire sous Charles Quint et de Flandres sous Philippe II, révoltés napolitains, conquistadores ou caciques indiens de Nouvelle-Espagne et du Pérou, ont subi des confiscations de biens et parfois bénéficié de leur restitution dans un contexte de pacification, à moins que ceux-ci n’aient été transférés à d’autres au titre d’une politique de fidélisation et de récompense d’une nouvelle élite née de la guerre ou des troubles. Les archives des institutions centrales, domaniales ou financières conservent une documentation abondante voire pléthorique sur ces aspects. Par exemple, les historiens des anciens Pays-Bas espagnols ont découvert au XIXe siècle la richesse des comptes de confiscation des biens des Protestants de la révolte de 1566. Ces sources ont ensuite intéressé les historiens du droit, avant d’être utilisées depuis les années 1970 pour une historiographie socio-économique, curieuse de reconstituer l’univers matériel et le statut social.
L’intérêt n’est plus ici la dominante comptable et financière de la documentation, ni l’information sociale et économique qu’elle recèle sur les patrimoines des individus. L’objectif des organisateurs est bien de donner une autre compréhension de l’exercice de la souveraineté dans une monarchie composite, traversée de forces centrifuges, et pourtant capable d’assurer durablement son hégémonie sur des populations dont les cultures sociales et politiques hétérogènes nécessitaient des approches plurielles. Confiscations et restitutions posent le problème des modalités d’application de la justice et du pardon pour la réintégration de territoires ou de groupes de population entrés en dissidence, et celui de la mobilisation et de la redistribution de ressources financières extraordinaires qui en sont issues. Elles peuvent enfin éclairer les phénomènes de collaboration, de résistance ou d’affrontements entre groupes de pouvoir ou groupes d’intérêts autour du souverain et au sein de la monarchie composite habsbourgeoise.
[1] Bodinier B., Teyssier E., Antoine F., L’évènement le plus important de la Révolution. La vente des biens nationaux (1789-1867) en France et dans les territoires annexés, Société des études robespierristes-CTHS, 2000, p. 11-12.
[2] Voir les rapports de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, dite « Mission Mattéoli » (1997-2000), et les publications qui en sont issues : http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-matteoli.htm.
Programme
18h-19h45 : Séance plénière jeudi soir 11 décembre
Hogenheuvelcollege, Naamsestraat 69, Leuven, Auditoire 1.85
– Introduction
par les organisateurs Yves Junot et Violet Soen
– Présentation du livre ‘L’identité au pluriel’, Revue du Nord, Hors-Série Histoire 30, 2014
par Johan Verberckmoes, vice-doyen de la Faculté des Lettres
– Inauguration du nœud ‘Borgoña-Flandes’ : Comment gerer et perdre un Empire: La Monarchie espagnole et le monde au XVIe siècle: de Leuven à Ceylan
Par José Javier Ruíz Ibáñez, Universidad de Murcia
– L’imbroglio des confiscations de biens de morisques
Par Bernard Vincent, EHESS
– Confisquer, sanctionner, restituer. Économie de la répression contre les comuneros et les agermanats
Par Juan Francisco Pardo, Universidad de Valencia
Session de travail vendredi 12 décembre
Jos Cretenzaal, Erasmushuis, Blijde Inkomststraat 21, niveau 1
– 9h30 : Hans Cools, KU Leuven
Les Habsbourg et le regroupement du paysage nobiliaire dans les régions septentrionales : Hollande – Gueldre – Frise, 1477-1543
– 10h50 : Gregorio Salinero, Paris-Sorbonne
Rébellions, pardons et poursuites judiciaires dans l’Amérique espagnole au XVIe siècle
– 11h :Etienne Bourdeu, Université de Tours
La monarchie espagnole face aux confiscations religieuses dans l’espace germanique (XVIe – XVIIe siècle)
– 11h45: Olivia Carpi, Université d’Amiens
Guerre civile et gestion des privilèges urbains par le roi de France (1589-ca 1610)
– 13h30 : Yves Junot, Université de Valenciennes & Violet Soen, KU Leuven
Punir et pardonner par voie de confiscation : les biens dans les rapports entre Philippe II et ses sujets des Pays-Bas
– 14h15 : Gustaaf Janssens, KU Leuven
Les biens confisqués par le Conseil des Troubles: un moyen pour Philippe II de se rassurer de la fidélité des nobles
– 15h: Carole Payen, Université de Namur
Entre systématisation et ménagement: la procédure de confiscation des biens sous le Conseil des troubles. Etude à partir du cas enghiennois (1566-1576)
– 15h45: Bram de Ridder, KU Leuven
Autour de la frontière Pays-Bas espagnols/Provinces-Unies: la restitution des biens sur le base des traité de paix et des prérogatives d’État (1609-1656)
– 16h30 : Laura Manzano (chercheur indépendant)
La question d’un Traité Particulier entre Philippe IV d’Espagne et la famille d’Orange-Nassau pendant la négociation du Traité de Münster
Organisation:
Y. Junot, V. Soen, B. Vincent
Institutions organisatrices:
KU Leuven, Onderzoeksgroep Nieuwe Tijd, www.transregionalhistory.eu
Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, Calhiste,www.univ3valenciennes.fr/CALHISTE/
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